Un salarié sur trois déclare avoir déjà été victime d’incivilités au travail, selon une étude de la Fondation Jean-Jaurès. Dans certains environnements professionnels, l’affichage de la disponibilité ou de la courtoisie est interprété comme un signe de faiblesse.
Les recherches en psychologie sociale sont formelles : multiplier les gestes de bienveillance augmente la coopération, stimule la performance collective. Pourtant, l’individualisme triomphant, la peur d’être pris pour un naïf ou exploité, brident l’apparition de comportements attentionnés. L’élan vers l’autre se retrouve freiné, comme si chaque marque de gentillesse pouvait coûter cher dans la balance sociale.
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Plan de l'article
- La gentillesse, une valeur sous-estimée dans nos sociétés modernes
- Pourquoi la bienveillance fait parfois défaut : entre croyances, peurs et conditionnements
- Quels bénéfices concrets la gentillesse apporte-t-elle dans nos relations et au travail ?
- Des pistes simples pour cultiver la bienveillance au quotidien
La gentillesse, une valeur sous-estimée dans nos sociétés modernes
La gentillesse reste, en France, une qualité sous-évaluée. Intime, chaleureuse dans la sphère privée, elle se charge d’ambiguïté dès qu’on la transporte à l’extérieur. Laurent Bègue-Shankland, chercheur à l’université Grenoble Alpes, l’explique sans détour : « La gentillesse est souvent assimilée à de la naïveté, alors qu’elle nécessite courage et ouverture. »
Impossible de faire l’impasse sur la bienveillance pour comprendre la mécanique des relations humaines. Elle tisse la cohésion, atténue les tensions. Mais dans la capitale comme dans les grandes métropoles, la pression permanente et la course à la performance brouillent sa légitimité. Les fameuses « soft skills », empathie, altruisme, tentent de se faire une place, mais restent en retrait face à la rentabilité et au rendement attendus.
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Quelques faits illustrent la place fragile de la gentillesse :
- Érigée en socle de confiance, elle ne relève pas simplement du caractère, mais d’un choix, d’une posture.
- L’altruisme et le respect apaisent les relations, désamorcent les crispations.
- Si la reconnaissance de ces compétences humaines s’amorce, elle avance à petits pas.
Pour la psychologue Marie Ghisalberti, « la gentillesse permet de créer un climat propice à l’échange et à la résolution des conflits ». De son côté, Franck Martin, auteur et consultant, exhorte à repositionner la bienveillance au centre de nos institutions, insistant sur le fait qu’elle n’est ni une faille ni une crédulité, mais bien une ressource incontournable pour demain. L’enjeu est de taille, dans une société sommée de concilier adaptation et solidarité.
Pourquoi la bienveillance fait parfois défaut : entre croyances, peurs et conditionnements
La bienveillance ne disparaît pas sans raison. Ce sont les croyances, les réflexes, qui lui font barrage. En France, le manque de bienveillance s’alimente d’une méfiance : la gentillesse évoque trop souvent la faiblesse, et avec elle le spectre d’être berné. Dans l’environnement de travail, la compétition et l’angoisse du jugement transforment chaque geste d’altruisme en pari risqué.
Les recherches d’Estelle Morin, professeure à HEC Montréal, mettent en évidence plusieurs obstacles majeurs à l’expression de la gentillesse au travail :
- la peur d’être mis à l’écart ou rejeté,
- le stress alimenté par la quête de performance,
- et la crainte permanente que la bienveillance au travail se retourne contre soi, comme une faille exploitable.
La culture professionnelle française érige la rigueur et la maîtrise en vertus cardinales, souvent aux dépens de l’empathie. Le regard pesant des collègues, la peur de l’incompréhension, poussent à la réserve. L’épuisement, ce compagnon silencieux du stress chronique, fige l’élan vers autrui. Résultat : la gentillesse en entreprise reste confinée à la marge, suspectée ou ignorée.
Pourtant, les témoignages collectés par Estelle Morin convergent : partout, la demande d’authenticité et de respect s’exprime. La France, tenaillée par la défiance et le culte de la performance, avance à tâtons vers la reconnaissance du potentiel transformateur de la bienveillance collective.
Quels bénéfices concrets la gentillesse apporte-t-elle dans nos relations et au travail ?
La gentillesse n’a rien de mièvre. Elle agit concrètement sur la qualité des relations humaines. Les recherches de Laurent Bègue-Shankland l’attestent : la bienveillance désamorce les tensions, fluidifie le dialogue, encourage un engagement réel. Quand la confiance s’installe, les échanges gagnent en sincérité, les désaccords se règlent plus vite. Le management bienveillant, trop vite classé dans les « soft skills », s’impose comme un facteur clé de succès dans les organisations.
Catherine Gueguen, pédiatre et spécialiste des neurosciences affectives, rappelle que la gentillesse au travail profite à tous : elle abaisse le niveau de stress, prévient l’épuisement et réduit l’absentéisme. Dans le secteur médico-social, manifester de la bienveillance resserre les liens au sein des équipes et améliore la qualité de l’accompagnement. Paul Gilbert, psychiatre britannique, prouve même que les actes d’altruisme stimulent la production d’ocytocine, l’hormone de l’attachement, générant un cercle vertueux d’épanouissement collectif.
Qu’il s’agisse de la sphère familiale ou professionnelle, la gentillesse construit un climat de sécurité psychologique. Elle libère l’audace, encourage la créativité, dynamise l’entraide. Quand la culture d’entreprise valorise l’attention à l’autre, la motivation et l’engagement des salariés s’envolent. Ici, la gentillesse ne s’ajoute pas : elle transforme, elle façonne un écosystème propice à la réussite et à l’équilibre de chacun.
Des pistes simples pour cultiver la bienveillance au quotidien
La bienveillance se développe, pas à pas, à travers une série de gestes simples. Pour Emmanuel Jaffelin, philosophe, il s’agit d’un choix, d’une posture, que l’on affine en l’exerçant. Adopter une communication non violente, écouter activement, reformuler, s’intéresser sincèrement à ce que vit l’autre, constitue une base solide pour instaurer un climat de confiance et désamorcer malentendus comme tensions.
Mais l’empathie se manifeste aussi dans le détail des interactions. Prendre le temps de saluer, remercier, reconnaître l’effort d’un collègue ou d’un proche : ces attentions dessinent la qualité des relations humaines. Selon Marc Grassin, philosophe, la gentillesse trouve sa source dans un regard compréhensif sur soi-même et sur autrui. Pratiquer l’auto-compassion, c’est éviter de se juger inutilement, renforcer son estime de soi et aborder les autres sans rivalité ni défiance.
Voici quelques leviers concrets pour faire vivre la bienveillance au quotidien :
- Exprimer de la gratitude, ne serait-ce qu’en silence.
- Privilégier l’écoute, sans couper la parole ni prodiguer des conseils à la hâte.
- Formuler des retours constructifs, sans ironie ni sarcasme.
La psychologie positive rappelle que porter attention aux petits succès quotidiens alimente l’élan de bienveillance. Un mot d’encouragement, un sourire, quelques lignes de soutien : ces gestes, loin d’être anodins, tissent une trame solide contre l’isolement et restaurent la confiance. La gentillesse n’a rien d’un aveu d’impuissance. C’est une force, un socle sur lequel s’appuyer pour bâtir des liens durables et ouverts.
La prochaine fois qu’un collègue vous tend la main ou que l’envie de soutenir quelqu’un vous traverse, laissez-la prendre toute sa place. C’est dans ces gestes ordinaires que s’ancrent les vraies transformations.